Orzammar : derrière les barreaux

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Kany allait les tuer. Comme ça, tout simplement. Elle allait les tuer et ça résoudrait peut-être leur problème politique, ça apaiserait certainement Harrowmont et ferait probablement glousser Bhelen, ou en tout cas son conseiller.
Elle se passa une nouvelle fois une main sur le visage et prit une grande inspiration qu'elle souffla doucement. Toute cette mascarade politique la saoulait au plus haut point et elle regrettait de ne pas être restée à la Tour des Mages, aussi ravagée fusse-t-elle. Elle ne désirait rien de plus que de trouver les deux prétendants au trône, en prendre un pour taper sur l'autre et aller chercher la Princesse des Tréfonds pour lui donner la couronne qu'aucun des deux autres ne méritait vu ce que les habitants leur avaient dit. Mais noooon, il fallait qu'ils fassent des ronds de jambes à toute la population naine noble et qu'ils draguent des vieux barbus à la recherche d'informations et de ragots.

Dès qu'elle avait appris la nouvelle, elle s'était mise à marcher d'un pas vif en direction de la prison sans même faire attention si Trompe-la-Mort et Shani la suivait.

Elle avait pris sur elle au Façonnat et en voulait presque personnellement à Raven de n'avoir pas su se tenir ; encore heureux pour lui qu'il y avait une prison entre eux deux maintenant.

Même si des barreaux laisseraient passer des flammes ou des éclairs.

Qu'on se le dise, Trompe-la-Mort est un pacifiste. Un mage du sang pacifiste. Un mage du sang capable de transformer les gens en bombes vivantes pacifiste. Trompe-la-Mort n'aime pas le conflit et préférerait de très loin que tout le monde se fasse des bisous et des couronnes de fleurs dans une prairie avec des coquelicots et des petits oiseaux qui chantent (même si les oiseaux, c'est aussi plutôt chouette à chasser, à attraper, et à torturer jusqu'à la mort, pour ensuite les manger, mais pas complètement, parce que les petits os c'est pas très digeste, mais c'est peut-être le côté chat qui parle). Bref, Trompe-la-Mort ne se met pas en colère, et de toute façon ça demande trop d'énergie ce genre de trucs.
Mais faut bien avouer que là, tout de suite, Trompe-la-Mort trouve la plaisanterie assez moyennement marrante.


"On va trouver une solution," dit-il quand même, essayant d'apaiser les rognes respectives de Kany et Shani. "C'est juste un malentendu. Un malentendu avec un coma. Un gros malentendu," finit-il avec embarras. Le genre de malentendu qu'il provoque, normalement, et pas les autres. Dire qu'ils ont tous voulu le surveiller ! Comme si les épisodes précédents ne lui avaient pas mis un peu de plomb dans la tête. (Pas beaucoup, on vous l'accorde. Il frappe toujours aux portes et croit toujours que sa poésie est de qualité.) "Si on les tue dans la prison, ça ne servira qu'à nous faire accuser de meurtre et d'avoir outrepassé la justice naine, ou quelque chose du genre. Il va bien y avoir un procès, non ? On peut peut-être s'en tirer comme ça ?" C'est vrai qu'il ne sait pas faire grand-chose, l'animal, mais palabrer et retourner la tête des gens à force de blabla, c'est un de ses rares points forts. Non pas qu'il soit doté d'une éloquence incroyable ou d'une capacité argumentative digne des orateurs les plus talentueux, non : c'est juste que la plupart du temps, ses interlocuteurs donneraient tout et n'importe quoi pour le faire taire. Et dans le cas présent, ça peut fonctionner.

Shani dit tout haut ce que Kany allait hurler et tant mieux pour les trois crétins derrière les barreaux. Par contre, elle ne semblait pas aller bien. Les yeux plissés de colère pour les trois enfermés, elle s'avança pour poser une main sur l'épaule de la voleuse.

"Je ne suis pas sûre de pouvoir ni même de vouloir plaider pour votre sortie de cette prison. Vous mériteriez de croupir un moment ici mais malheureusement, le sort du monde est entre nos mains et nous ne pouvons nous permettre d'en perdre la moitié."

Elle se tourna vers Shani et Trompe-la-mort, ignorant totalement les réactions des trois prisonniers.

"La diplomatie n'est pas mon point fort, vous le savez, l'un d'entre vous va devoir devenir notre porte-parole lors du procès, je ne crois pas qu'il y ai un système d'avocats ici..."

Tout serait plus simple si elle pouvait juste cramer les deux prétendants au trone pour y mettre quelqu'un juste le temps de signer les papiers et qu'ils puissent s'en aller d'ici.

Trompe-la-Mort hausse le sourcil. Tous ces grognements et cris de rage, ça lui passe loin au-dessus de la tête (ça doit être fatiguant, quand même, de s'énerver comme ça -- une perte d'énergie inutile, s'il en est), mais il est surpris que Kany l'inclue dans les candidats potentiels au poste de porte-parole auprès de l'Assemblée des Dashyrs. Il l'a prouvé, il est capable d'entourlouper son monde et de manier les mots avec une certaine habileté qu'on n'imaginerait pas d'un être qu'on imagine profondément stupide, mais il est tout de même très étonné qu'on veuille bien considérer de lui donner certaines responsabilités. Des responsabilités, Trompe-la-Mort n'en a jamais vraiment eu, et ça lui convient très bien. Sans elles, il parvient déjà à se mettre dans des situations impossibles en permanence ; il n'ose pas imaginer ce qui pourrait se passer si en plus il avait un minimum de contrôle sur ce qui lui arrive. Pour l'instant, on ne peut pas dire que ça lui ait réussi.

Pourtant, peut-être parce que les aventures passées lui ont mis un peu de plomb dans la cervelle, ou peut-être parce qu'il est au fond plus chien que chat -- loyal, dévoué, persévérant --, il ne peut envisager de refuser tout net. Pas s'il peut aider, même un peu. "J'ai réussi à charmer le nain du Façonnat,," dit-il donc, sans trop montrer d'assurance. "Et le Sylvan, à Bréciliane. Je peux peut-être réussir avec les Dashyrs aussi ?" Le point d'interrogation final s'entend dans sa voix qui monte de quelques octaves en parfait témoin de son doute. Tout bravache qu'il puisse parfois se montrer, Trompe-la-Mort ne déborde guère de confiance en lui-même et ses capacités. "Mais Shani ferait certainement un meilleur travail. Tu connais mieux les nobles," offre-t-il comme porte de sortie, espérant que ses deux comparses se jettent sur l'occasion.

Parce que s'il venait à prendre cette responsabilité et à faillir, il ne se le pardonnerait jamais.

 
 

Kany se sentit soudainement fatiguée. La politique lui passait largement au dessus de la tête, par méconnaissance dûe à un désintérêt profond, et elle regrettait vivement sa bibliothèque. Elle écouta quand même les explications d'Ethan et poussa un long soupir final.

"Dites-moi juste quoi faire. Je dois cramer ou séduire qui pour qu'on réussisse quelque chose ici ?"

Bien que ça ne l'enchante pas du tout, elle était même prête à jouer de ses charmes juste pour réussir à sortir de cette embrouille.

Afin de rassembler tous leurs alliés nains et mettre toutes les chances de leur côté, le groupe élabora rapidement une stratégie de défense.
Kany et Trompe-la-Mort se rendirent au façonnat afin d'obtenir tous les renseignements nécessaires sur le déroulement des procès nains en assemblée et sur des cas plus ou moins similaires au leur qui leur permettrait d'étayer leurs arguments.
Ils demandèrent également au doyen, Czibor, d'attester par écrit leur sens de l'honneur et leur bonne foi auprès du peuple d'Orzammar, ce que le nain ne refusa pas, leur souhaitant bonne chance lorsqu'ils repartirent pour -en ses propres termes et de façon surprenamment peu révérentieuse- "la cage aux genlocks".

De leur côté, Annakhat, Raven, Ethan et Shani se concertèrent sur leur défense et sur les faits à évoquer ou non.
Ils convinrent sans difficulté de la nécessité de paraître honorables, notamment en certifiant que les jumeaux les avaient attaqués en premier en dehors de la lice. Ethan invoqua le nom de Guerrod, auquel ils avaient sauvé la mise en récupérant ses correspondances, afin qu'il témoigne de leurs dires -et ce, même s'il n'était en théorie pas là au moment des faits.
Il leur fut moins aisé de choisir les faits d'armes à évoquer susceptibles d'émouvoir les Dashyrs tandis qu'ils étaient à la surface.
Ils choisirent finalement de parler de leur participation à la bataille d'Ostagar contre les engeances et l'aide qu'ils apportèrent à Golefalois pour combattre "les démons et leur vile magie".

Au retour de Kany et Trompe-la-Mort, les aventuriers décidèrent d'un commun accord de la suite des opérations : feindre la repentance en envoyant la moitié d'entre eux dans les Tréfonds à la recherche d'une chose chère aux Dashyrs -et dans le même temps, tenter de retrouver l'exilée Aeducan- ; tandis que l'autre moitié terminait de rassembler des preuves contre les deux nobles qui les avaient mis dans cette situation avec leurs manoeuvres politiques alambiquées.

Shani fut d'emblée contactée par Zascha, la skalde d'Orzammar, qui avait rapidement eut vent de la situation.
Cette dernière, accompagnée de Dame Helmi, jura de témoigner en leur faveur dans l'Assemblée à condition que l'on invoque son nom, comme il se devait lors d'un procès.
Dame Helmi, habituée de l'Assemblée où elle occupait parfois un siège, expliqua rapidement les rudiments de protocole à Shani, qui serait chargée de plaider la cause des gardes des ombres auprès d'Orzammar.
Ensuite elle la prévint que, fait exceptionnel, le procès de l'Assemblée serait ouvert au public roturier d'Orzammar, ce qui, dépendamment de leur attitude lors de leur séjour, pourrait jouer en leur faveur.

Lorsqu'ils furent enfin emmenés à l'Assemblée au milieu d'une allée flanquée de "bouh" d'une part et de "ah" de l'autre, ils n'avaient plus aucune place pour le doute et l'hésitation.

Comme dans un spectacle où les acteurs ont appris leurs lignes par coeur, le procès fut ouvert par le Commissaire Baindelor qui exposa avec clarté et impartialité la raison du procès et les faits qui étaient reprochés aux trois gardes des ombres.

S'ensuivirent les accusations de Bhelen, très virulentes, puis d'Harrowmont, beaucoup plus placides.

Et comme dans une pièce de théâtre magnifiquement orchestrée, ce fut au tour de Shani d'exposer la défense, appelant à témoigner les accusés un par un, puis les différents témoins : Nerav Helmi, Zascha et les deux cousins d'Harrowmont -Guerrod et Biarni-.
Les Dashyrs, déjà hésitants face à tant d'éloges, se mirent à trembler lorsque des nains roturiers se mirent à huer au complot et à la libération des gardes sous l'impulsion discrète de Zascha.

Craignant une émeute populaire, les Dashyrs sommèrent les gardes de faire sortir le bas peuple de la salle, ce qui amplifia considérablement les huées et les coups de sifflets.

Cependant, une fois le calme revenu, un façonneur, jusque là resté à l'extérieur de la salle, avança prudemment vers Shani en tendant devant lui une lettre cachetée du sceau du Façonnat.

Avec l'élégance d'un acteur, le Commissaire s'empara de la missive avant qu'elle n'arrive jusqu'à la défense, et, d'une voix forte et claire, il s'adressa à nouveau aux Dashyrs, certain de leur affliger un coup de grâce, cette mascarade n'avait que trop duré.

"Dashyrs ! Voici une lettre du Grand Façonneur Czibor !", tonna t'il avec gravité en rompant le sceau et déroulant la lettre dont tomba une clé d'or, arrachant un cri de stupeur et d'indignation à Bhelen Aeducan et ses partisans.

Réprimant une envie maladive de sourire, Baindelor prit une grande aspiration afin de dévoiler le contenu de la lettre officielle.

"Moi, Czibor, Grand Façonneur des mémoires et doyen d'Orzammar, me porte garant de l'honneur et des intentions bienveillantes des Gardes des Ombres. Leur force et leur courage n'est égalé que par leur droiture, leur intelligence et leur vivacité. Voici pourquoi je leur confie la clé d'Orzammar, insigne officiel de la reconnaissance du peuple nain, et j'enjoins l'Assemblée des Dashyrs à se montrer raisonnable en confiant aux Gardes des Ombres une tâche attestant de leur bonne foi. Moi, Czibor, Grand Façonneur des mémoires et doyen, suis prêt à subir les conséquences, quelles qu'elles soient, si les Gardes des Ombres venaient à faillir dans cette tâche. Signé Czibor, Grand Façonneur des Mémoires."

Ramassant la clé d'or dans un geste mélodramatique calculé, Baindelor la remit ensuite en mains propres à Shani sous l'acclamation d'une partie des Dashyrs, menée par Dame Helmi.

"Quelle épreuve jugez-vous digne des Gardes des Ombres, Dashyrs ?!
- Si je puis me permettre, intervint finalement Shani, nous sommes volontaires pour parcourir les Tréfonds en votre nom!"

Les acclamations se muèrent en brouhaha et en conjectures parmi les nobles jusqu'à ce que le seigneur Harrowmont lui-même prenne la parole.

"Gardes des Ombres ! Votre proposition vient à point nommé ! Nous vous chargeons donc de vous enfoncer dans les Tréfonds à la recherche d'une de nos Hautes, la Haute Branka, partie dans les Tréfonds avec toute sa maison il y a deux ans de cela à la recherche du Thaig Caridin. Ramenez-la à Orzammar afin qu'elle choisisse le nouveau roi et nous vous absolverons et considérerons votre requête initiale!
- L'Assemblée est donc levée ! S'exclama Baindelor avec force. Les Gardes des Ombres peuvent sortir ! Dit-il enfin afin de s'essuyer fébrilement le front."

Lorsque le groupe d'aventuriers quitta le siège de l'Assemblée, ils furent acclamés par leurs alliés nains, certains qu'ils avaient déjà vus, d'autres non. Sans doute le bouche à oreille avait-il été utilisé à outrance concernant leurs hauts-faits dans la Cité.